L’exposition est le résultat d’un travail exceptionnel mené par l’artiste plasticien Juan Manuel Echavarriá, au sein de la fondation Puntos de Encuentro, qu’il a fondée en 2006, à Bogota. Cette fondation vise au moyen de l’art, à « inciter, appuyer et montrer au public les projets qui préservent la mémoire historique de la guerre en Colombie ».
À partir de 2007 et pendant deux ans, Juan Manuel Echavarria a invité les acteurs de la guerre à participer à des ateliers de peinture, en leur fournissant le matériel nécessaire pour raconter leur expérience du conflit.
Quatre-vingt ex-combattants, d’un niveau scolaire bas et provenant de tous les bords (guérillos, soldats, paramilitaires), ont raconté leur histoire en images sur 420 tableaux.
Ce projet est devenu une exposition itinérante initialement présentée au musée d’art moderne de Bogota et ailleurs en Colombie, puis à Miami et Rio de Janeiro.
À Bordeaux, les peintures seront accompagnées d’une série de 11 tapisseries réalisées par des afrodescendantes du nord de la Colombie déplacées à la suite d’un massacre. À découvrir également, les photographies de Juan Manuel Echavarria dévoilant ce qui reste des écoles dans les villages colombiens abandonnés en raison de la guerre.
Les peintures
Entre 2007 et 2009, Juan Manuel Echavarría a invité les acteurs de la guerre à participer à des ateliers de peinture, en leur fournissant le matériel nécessaire pour raconter leur expérience du conflit. Quatre-vingts ex-combattants, d’un niveau scolaire bas et provenant de tous les bords – guérilleros, soldats, paramilitaires – ont raconté leur histoire en images, sur 420 tableaux.
« Personne n’a appris à personne à peindre. On leur a seulement donné du matériel », précise l’artiste à l’origine du projet. Du matériel (peinture et tablettes en bois de 50 x 35 cm) fut remis à chaque participant selon ses désirs, pour qu’à l’image des pièces d’un puzzle, il puisse construire son image.
Juan Manuel Echavarría a substitué les pinceaux aux armes pour faire émerger ce qui ne pouvait être dit. Sous l’apparence naïve d’un dessin coloré aux formes sommaires émergent une violence et une barbarie.
Sur les murs de l’exposition, 27 peintures rendent ainsi compte de massacres, châtiments, séquestrations, viols et scènes de trafic de drogue.
El Sueco s’engage à l’âge de 18 ans comme combattant paramilitaire des autodéfenses unies de la Colombie (AUC).
« Ce qui est représenté ici, c’est la manière dont on soutire des informations à un homme (…) Le noir et blanc évoque un souvenir triste, comme si on ne voulait pas se rappeler (…) Voir un être humain pendu comme une marionnette c’est insensé.
On se sent mal… très mal (…). Cet homme était un milicien [des FARC] (…). C’était un être humain et j’imagine qu’il avait une famille. C’est toujours dur de se rappeler ces choses-là, on ressent un grand vide dans le cœur, des remords… Des remords… »
La garantie d’un respect total de l’anonymat et l’absence volontaire de jugement esthétique furent essentielles pour atteindre un objectif : connaître les acteurs de la guerre et les laisser la raconter aux Colombiens qui ne la voient pas. « Et si les œuvres réalisées par d’anciens bourreaux révèlent la cruauté et l’horreur de leurs actes, elles ont aussi pour but d’éduquer contre la guerre », explique Juan Manuel Echavarría.
Tapisserie : Les brodeuses de Mampujan
Les peintures sont accompagnées d’une série de tapisseries réalisées par des afro-descendantes du nord de la Colombie déplacées à la suite d’un massacre.
Marie Estripeaut-Bourjac, enseignante à l’Université de Bordeaux/ESPE Bordeaux, présente le contexte dans lequel les tapisseries des brodeuses de Mampuján ont été confectionnées.
Dans la nuit du 10 au 11 mars 2000, sous la menace d’un groupe paramilitaire, les habitants de Mampuján (150 km au sud de Cartagena, Colombie) doivent abandonner leur village pour se retrouver, en tant que déplacés, sous des abris en plastique et en carton, dans un hameau à quelques kilomètres. Peu à peu, les habitants de Mampuján, comme tant d’autres (245 familles déplacées dans l’ensemble des hameaux), rebâtissent de façon précaire leurs foyers.
Mais ils doivent aussi reconstruire leurs vies et donnerun sens à ce qu’ils ont vécu, tout en maintenant l’espoir de retourner dans leur village et de récupérer leurs terres et leur travail.
C’est ainsi qu’entre 2007 et 2009, quinze femmes vont coudre et élaborer ensemble une série de onze tapisseries, qui racontent avec des lambeaux de tissus récupérés çà et là l’histoire du déchainement de violence subi par ces populations, majoritairement afro-descendantes. Si cette entreprise de réalisation des tapisseries répond à un besoin de laisser la trace d’une histoire et de participer à la construction d’une mémoire historique, elle a pour but essentiel de maintenir la cohésion du groupe, menacé de dispersion, tout en faisant office de thérapie collective.
Les photographies / Silencio, 2010 – 2015
17 photographies donnant à voir des écoles abandonnées et deux vidéos de Juan Manuel Echavarría complètent l’exposition.
« Le 11 mars 2010, j’ai été invité au vieux village de Mampaján dans les Montagnes de María, en Colombie », raconte Juan Manuel Echavarría.
« La Communauté commémorait les 10 ans de son expulsion par le groupe paramilitaire Héros des Montagnes de María. A ce moment, j’ai débuté une série de photographies que j’ai appelée Silencio.
A l’école rurale mixte de Mampuján, abandonnée, sans toit et avec les sols couverts de végétation, j’ai trouvé dans la première salle des voyelles peintes sur le mur à côté du tableau. La calligraphie et les couleurs des lettres ont attiré mon attention ; les lettres semblaient se déplacer sur le tableau. Le e, le i, le u, le a, étaient toujours lisibles malgré l’humidité et le passage du temps, mais le o, lui, était à peine visible.
Dans la seconde et dernière salle, caché par la végétation, j’ai vu un tableau décoloré, et en très mauvais état, j’ai hésité à le photographier. Des jours après, au moment de regarder les photographies et de les étudier avec attention, j’ai découvert que sur ce tableau silencieux se trouvait une phrase presque invisible et qui avait été écrite sans aucun doute longtemps auparavant. Elle disait : le beau est d’être vivant. »
La série Silencio inclut les écoles de plus de 70 veredas (divisions administratives) et villages des Montagnes de María, de la région du Chocó et de Caquetá, en Colombie.
EXPOSITION OUVERTE DU 11 DÉCEMBRE 2015 AU 6 MARS 2016
MUSÉE D’AQUITAINE20 Cours Pasteur – 33000 Bordeaux
Tél. : 05 56 01 51 00
www.musee-aquitaine-bordeaux.fr
musaq@mairie-bordeaux.fr